jeudi 14 août 2008

MINISTERS OF IDOLATRIES



[Pamela réalisa qu'elle n'avait finalement pas grand'besoin de l'ordre, et, avant même qu'elle se comprît capable d'étendre, d'étaler, déverser son désordre, frissonna sans discontinuer de la non-logique qui l'emplissait, et s'étonna de ce qu'elle pouvait toujours discerner – partout – son contraire. Elle croyait sentir la répugnance approcher. (Et eritis sicut dei)]

Attendu que la politique n'est que de résolutions et de sentiments négatifs, que les positifs portent à l'idéalisation au moins de l'acte sinon du discours, que toute volonté enfin est idéalisante ;

attendu que dans cette sphère tout triomphe est d'espoir, que toute satisfaction y est d'intérêt, soit légèrement au-dehors, et qu'on observe en son sein les deux contraires de celui-là et de celle-ci s'entr'engendrant ;

attendu que les chutes et déclins des idées et des voeux comme des chiffres sont dans le strict continuum des choix de la masse pour la masse, dans la logique de la gravité de la responsabilité que la masse fait peser sur la masse ;

attendu que l'avidité de vivre, si elle veut se donner les moyens – politiques, donc, et sphères avoisinantes – d'exister – de coexister – parmi l'altérité grouillante et bouillonnante de dévotions ou de conventions, sans une sélection lapidaire que le contexte rend toujours hors d'atteinte, se normalise pour corrompre, et se fait une ambiance dès lors qu'alors elle brasse ce qui à ladite altérité et finalement à elle-même apparaît pis que stratosphérique, en même temps que lourd du sens fuyant et jamais vraiment fui ;

attendu que l'idée et l'envie de conception d'une science positive portant sur l'histoire – et donc la portée – humaine sont des injures à l'homme, et à tout ce qu'il comporte et manifeste d'assez bas pour se substituer à une quelconque généralité autre que tautologique ;

attendu que la prise de conscience forcée que les plus grandes vertus de la morale et du devoir et du savoir constituèrent et partant ont toujours constitué la condition nécessaire et suffisante des plus épouvantables desseins (et de leur conclusion qui fut la première mort historique de civilisations) n'a pas conduit les esprits à résoudre ou à permettre de résoudre ce paradoxe et tout juste à le suspecter ; attendu qu'il est donc permis de penser que l'ordre va contre lui-même et que l'homme y va contre lui-même, avec un entrain toujours renouvelé et dans une boucle d'espoir sans solutions ;

attendu que tous les paradoxes que crée l'insertion de la logique et du raisonnable, et de leurs enfants la modération et la patience, dans l'humain, circonscrivent de toute façon la logique en dehors d'elle-même, dans quelque logique pour la logique où s'arrête (choit, cesse) la réflexion, et qu'il vaut mieux chercher la résolution de ce paradoxe dans l'inertie que dans la désillusion ;

attendu que le rapport au monde aujourd'hui n'est qu'ironique par défiance de l'espoir, en même temps que l'espoir apparaît sous son vrai visage de méfiance de sa propre logique, qui n'est qu'ordre de la pensée ;

attendu enfin que l'ironie la plus forte et la plus poignante est à ceux qui comprirent que tous les magistraux édifices d'ordre et de logique qui se fondent et demandent à se fonder sur le réel et la raison n'ont d'existence que dans des paroles, promesses, figures, phrases, habitudes, prévisions, observations – c'est-à-dire dans les manifestations à la fois d'espoir et de manque d'imagination, voire d'espoir par manque d'imagination ;

alors nous voulons bien demander à rêver autre chose que demander autre chose
Car encore nous savons qu'il n'est pas que naïf de se vouloir désignés, de se voir désignés, de réclamer la figure de proue froncée et nette que l'on désigne pour désigner au grand jour un début de route ensemble.

alors nous voulons bien cesser d'encore croire que la vanité ne conduit pas qu'à la vanité
Et que le foisonnement dans la mise à nu et à vide extérieure peut être un début de plein et de feu et de sang
Pour parvenir avec vous à cet écoulement du moi, avec chacun en tant que seconde, singulière et singulative et brève mais reliée sonnante et fonctionnante, d'une grande vie
Dont celle-ci encore nous voulons bien refuser de croire qu'elle peut être autre ou aller autre part que vers l'épuisement de l'égrènement, et la regarder jaillir, au milieu de nous avec vous fourmillant amphithéâtre béat dans la semi-pénombre.

alors nous voulons bien laisser la vérité à la variété, le jugement à la relativité et le présent sous la chape de l'avoir-été.

alors nous voulons bien qu'abandonnant, nous dussions bouillonner et décider avec vous les sens de circulation des ingrédients bouillonnants, puis encercler les sens pour en faire de nouveaux, rouler avec vous au bas de la spirale et enrouler les roulements, jusqu'à la mixture toujours encore à bouillir et faire bouillir, plonger à votre suite et relier en même temps les plongeons dans une suite, en engendrer les nouvelles sources, poursuivre, poursuivre, détailler les passages des poursuites des strates voisines qu'on garde éloignées, et toujours convaincus de la prochaine étape poursuivre au fond du gouffre et trouver du nouveau ; et par-dessus tout continuer à voir l'infini comme ailleurs et l'ici comme mise en forme mais le possible comme à partir du possibilisé, dans une tasse maigre et ronde bouillonner la spirale avançante pourtant lente mais toujours avançant vers, et circulant dans le même bouillonnement vers, le plus profond des fonds qu'il doit bien y avoir ?

alors nous voulons bien, alors nous céderions alors nous voudrions céder
S'il se passait quelque chose, semblable à ce que vous pensez qu'il se passerait si nous cédions, qu'il se passera si nous cédons

alors nous voulons bien abandonner : cesser de prévoir d'être pour prévoir de voir ; lâcher prise, agripper l'emprise ; au rang des hommes tout restreindre
Et ne pas mourir, pour voir.

alors nous voulons bien demander à rêver autre chose que demander autre chose
Que le don d'un instant de la guerre étrangère, d'un instinct de faiblesse mis à nu
à nu
à nu
à bas
s'abat
-trait sur les lames des yeux dans les sons de brumaire ici et de novembre là-bas
Seuls les gravitrons pluriels des foules désolées dont on n'accepte qu'à demi-voix le pardon pouvant
Défuir sans revenir les non-clairières forcloses


[Avétéré est un professeur fatigué,
Beatron une saillie de jeunesse.]

AVÉTÉRÉ : -Et c'est tout.
BEATRON : -Et vous n'avez rien fait ?
A : -Que voulais-tu que nous fissions ?
B : -Que vous,
vous,
vous
A: -Non, nous n'avons rien fait de tout cela. L'inquiétante étrangeté de ce tout qui régnait avait à ce point compris la valeur des valeurs qu'elle avait déjà construit les murs où dérouler les flambeaux des lambeaux de sang de haine envers elle, taxait le sang, et en récupérait l'esprit pour ses monuments déjà pensés par d'autres haineux.
Les hommes de tête l'avaient compris, mais leur temps de vie passait à épingler leurs pleurs dans des rayons de courbes enlaçant les rayons droits et nets, pour que le plus tôt possible l'on comprenne qu'ils avaient compris, si possible en les comprenant à leur tour.
Les hommes de tête l'avaient compris,
Nous n'avions ni l'indifférence ni l'ignorance, mais nous avions le combat contre elles, avec notre peu de différence comme poignard de verre ; elles nous encerclaient, elles nous incerclaient, nous circonféraient de l'intérieur, avec un air crasse de second état de nature dans lequel nous rechutions, épuisés, presqu'aussi souvent que le premier. Écrasés vers le haut.


[Pamela se disait que cette fois encore il lui avait manqué la haine. Il ne lui venait tout au plus qu'un nerveux agacement juste au-dessus de la tête, et souvent temporaire et toujours passager, – dont, pire, le mépris était souvent dissocié, – dans quelque dignité sournoisement passée de mode et sournoisement implicite dont elle croyait ne plus garder qu'un dépôt de savoir et de technique, mais qui la définissait encore par surprise, et définissait son regard sur le monde sur les gens ses comparaisons ses assimilations ses concepts, ses transpositions ?, mais d'où venait-elle ?, (amor quidam propriae potestatis, et quaedam de se superba praesuptio, quae per illam tentationem fuerat vincenda et humilianda.)]


A: -C'était l'époque où nous grandissions en entendant seriner que tout changer était impossible et n'avait même aucun sens, par ceux qui avaient continué à espérer changer malgré les mêmes serinages répétés, sans comprendre que pour nous cela n'avait effectivement aucun sens. Aucun parent n'a pensé à étouffer l'espoir ; pour eux l'espoir avait surgi et surgissait comme un indéfectible principe du commencement de la conscience. Et finalement ils y ont vu de la résignation : c'était encore leur chant d'espoir qui, frustré dans la passation, en venait à douter de ses prétentions dans leur propre histoire. Mais leur faiblesse n'était plus la nôtre.
B: -Ta faiblesse ta faiblesse c'était quoi ta faiblesse c'était de trop aimer et de mordre à genoux prêt à tout arrêter pour tout voir se lever et voyant dans les autres des traîtres des parjures mais des peut-être un jour des impulsions des coups des enfin des alors malgré tous les trop tard ta faiblesse ç'a été d'espérer à voix haute la même chose enfin que tout le monde espère ta faiblesse ç'a été d'alterner le présent entre l'étranglement et le jouir de la terre entre le grand dédain supérieur et précis et le dédain du reste d'ailleurs et d'autrement ta faiblesse c'était de vouloir un peu trop d'en vouloir aux toujours qui sortaient de nulle part mais ta force c'était, même les genoux froids, de mordre quand même, et l'espoir au passé c'est quand même l'espoir, tu auras regretté à la face du monde, tu auras fini par voir où avaient été les jours de paix à espérer et : à ton tour laisseras l'espoir en héritage.


[Pamela s'était dit que la plus grande tare de ce nouveau siècle n'était pas que l'on pût s'y croire grand esprit au moindre éclat, mais qu'on ne pût plus y être grand esprit sans le sentir, puis le savoir, à la rigueur en souffrir ; et le poète, sitôt qu'il parle à Calliope, se peint sur le Parnasse, sitôt sortie sa lyre en a vendu les cordes. Si l'intelligence n'est plus si singulière, elle reste individuelle. Était-elle seule finalement ?, que pouvait-elle garder ?, (seu amorem istius excellentiae).]


A: -Autrefois les hommes naissaient libres ou bien ils n'étaient pas, ils étaient libres ou bien ils ne naissaient pas – aujourd'hui, te rends-tu compte ? Le nombre a tué l'homme. Et nous le savons depuis si longtemps...
B: -Et depuis si longtemps nous avons pu comprendre ce que l'on pouvait résoudre ?
A: -Si longtemps à peine pour s'en rendre compte, crois-moi. (Plusieurs fois, évidemment.) S'en rendre compte, voir la tragédie, l'abattement carcéral progressif et certain, le ciel lourd et brun de rocs aiguisés, voir la tragédie, et en faire quelque chose, un exorcisme, une vague volonté d'épitaphe future, mais simplement un ornement de soi, et en faire quelque chose, puis passer à autre chose. Quelque part.
B: -Puis fuir ?
A: -Jamais ! C'était trouver l'essentiel. Mais l'essentiel n'a jamais suffit dans le nombre. Pour le nombre il fallait et il a fallu un autre genre d'espoir et de nouveau, qui touchait à l'essentiel, affleurait sa partie montrable et pourléchait ses contours pour l'encadrer dans un joyau orangé soyeux humide.
Par le nombre on peut tenir et poser l'encens pour les goutelettes joyellant d'un ailleurs un peu central et surélevé... avec le ravissement ébahi face à la pluie par-delà le miroitement. Parce que le miroitement n'est que celui de ce qu'on pense pouvoir miroiter ! et d'ailleurs parce que ne miroite que ce qu'on veut bien réverbérer d'un cadre en cercle ! Mirroirer... engranger les scintillements des idéals des possibles... et de toute façon, la pluie, n'est que la courbe baveuse de l'orangé que l'on appelle vu.
B: -Tu parles et tu résorbes comme s'il n'y avait qu'un nombre...
A: -Aussi bien que moi je te tu sais parfaitement que les noyaux diffractent... non, pas du tout, que les joyaux diffèrent au coeur des grands nombres, leur en-jus saignant plus ou moins fort avec plus ou moins du vif qui fait oublier le camaïeu éclipsant le vide et rien.
B: -Mais le plus précis sang est chez les plus grands nombres !
A: -Oui ! Et le moins d'éclipse est chez les enfants de la révolution, qui n'ont pas fait briller le vif, et doivent aujourd'hui, parce qu'ils n'ont pas assez de vif et de lumière vive à portée de discours, à portée chérie, à portée de combat commun et demi défendue, pas assez de trop-plein de contours de lumière, doivent laisser aux autres nombres le pouvoir de la révolution ! N'est-il pas merveilleux !
Et comme il convient à toute action humaine la révolution s'efface sans tarder devant ses créateurs devenus créanciers ou débiteurs ; et c'est aux débiteurs de la révolution que l'on doit le respect de son contraire mais de son contraire nouveau.
B: -Le doute c'est la mort de la révolution...
A: -Tout n'est que nuance d'idéal.
B: -La révolution n'est pas une avec elle-même...
A: -Ah ! Mais tes grands maîtres de pensée du temps qui vint avant le nôtre avaient connu la révolution. Ou les. Il était pour eux question de guérison – d'un exorcisme..., et caetera –, quand nous continuions dans l'expectative. La différence, c'est que chacun, nous étions semblables à nous-mêmes... (révolution perpétuel engrenage comme l'identité aspirant à rouiller)... tandis que dans les nombres ils l'étaient tous ensemble.
B: -C'est vrai. Mais...
A: -Quoi ?
B: -Semblables à eux-mêmes ils pouvaient déjà l'être...
A: -Semblables à nous-mêmes nous apprenions à l'être.
B: -Dans le nombre.
A: -Oui.
B: -Et ça a tout changé, mais ça n'a rien à voir... Ou non, pas rien à voir, je n'ai rien vu, mais... Je crois que ton époque n'a allié à cet enseignement aucun autre projet que l'accomplissement.
A: -Il n'y a aucun besoin de projet !
B: -Je ne le crois pas non plus... mais le fait est, que lorsque semblables ils furent – même à eux-mêmes avant qu'aux autres – que lorsqu'ils le furent, rien n'était fait.
A: -Qui ?
B: -Tes semblables.
A: -Et moi ?
B: -Je suppose.
La vérité sur une époque.
A: -Esbrouffe.


[Pamela voyait les dents serrées que jusqu'alors il avait toujours fallu les anciens et les novationnaires ensemble pour dénoncer, qu'il avait toujours fallu dénoncer, ceci : Ils prennent tout. Les uns aux autres. Et ils offrent en échange la lassitude d'un temps dont on ne sait plus l'usage.]


B: -Que pouviez-vous penser qu'il vous restait à faire ?
A: -Réécrire Aragon, et apprendre à se taire.
Et dans la descendance des plus grands héros, dans la confusion de la culture des mots, étaler nos mémoires pour y voir un sens en tentant d'en finir avec les espérances, espérant engloutir les demains à outrance :

Combien faut-il de temps pour que meure une idée
Pour en presser la fougue écarlate d'années
Passées à l'exalter à y croire vraiment
Pour en cueillir l'esprit pur comme un coeur d'amant

Et pouvoir de l'esprit faire une preuve au monde
Que l'idée qu'il donna s'exclut des plus immondes
Cercles pour les régir, repue d'avoir vaincu
La raison dans l'espoir et l'espoir dans la rue

Combien faut-il attendre en écoutant l'action
Au nom des impressions étouffer l'expression
Enfouir les utopies dans les contradictions

Sous les pavés au dos des bonnes intentions
Combien faut-il de temps pour qu'on voie qu'une idée
Ne supporterait plus la vue de sa pensée

Mais je me demande si, en avançant sur la plage pavé par pavé, étaient vraiment lus les messages qu'on foulait du pied.
B: -Je sais que oui – que le message et l'espoir et l'effet se fondaient dans un seul processus, un progrès, ou pire, un changement.


[Pamela sut qu'elle avait cru, ce qui s'appelle cru. Elle savait : Rien ne peut quoi que ce soit contre le croyance, et quoi que ce soit n'est rien sans la croyance, car tout commence par la croyance. Le doute, y compris. (Atavus mortalis mordicus, ad libitum, ad nauseam, ad hominem.)]


B: -Là où vous échouâtes toujours, c'est en croyant sans conditions que la croyance en la liberté ou le bonheur pouvaient être autres que négatives, et donc autres qu'espoir(s).
A: -Vers quoi aurait-il fallu se diriger, alors ?
B: -Il n'y a pas de direction, tu l'as dit toi-même... Il n'y a rien vers quoi l'on se dirige.
A: -Il n'y a donc rien d'autre à faire que dévier un peu son chemin, ou choisir ses détours ?
B: -Je ne crois pas, oui.
A: -Mais...
B: -Non.
A: -Tu ne crois pas qu'à force de croire qu'ils peuvent sauver leur étoile, qu'on peut sauver cette étoile, encore, ils réussiront à quelque chose ?
B: -Non, je ne l'ai jamais cru... on ne le croit plus, tu sais. Pourtant j'ai beau m'être brûlé les yeux à fixer les étoiles sous lesquelles les hommes ont voulu se battre et se combattre, je n'ai pas trouvé mieux, pour continuer.


[Pamela avait peur de savoir encore et que l'on sache encore à qui s'adresser pour dire : et puisqu'il semble falloir planter son couteau dans la chair la plus proche pour s'y accrocher ou s'y retenir, puisque la terre tourne, au moins faites que Nous ne plongions les lames que dans les plaies les plus ouvertes et les fissures les plus béantes, que Nous n'écorchions que les déjà geysers, que quelque part demeure quelque chose d'intact... ou qu'au moins derrière l'étoffe écorchée Nous voyions le salut quelque temps avant de voir une autre étoffe à écorcher.]


A: -Je n'aurais pas dû avoir à me dire qu'il était déjà trop tard.
B: -Il valait mieux ça que trop tôt.
A: -Mais trop tard pèse toujours beaucoup moins en politique, que trop tôt...
B: -Qu'est-ce qui pèse en politique ? Qu'est-ce qui fait tout son poids ?
A: -La masse ?
B: -Voilà. Ce n'est jamais la masse qui change.
A: -Mais il est toujours trop tôt pour la masse et trop tard pour le faire pour elle. On ne peut pas...
B: -Les laisser ?
A: -Je veux dire, il doit bien être possible que, quelque chose, advienne avant qu'il soit trop tard pour dire trop tard, on doit pouvoir...
B: -Faire quelque chose pour elle ?
Savoir ce qui est bon pour elle ?
Savoir et prévoir que ce que d'autres ont prévu doit nous conduire à empêcher de conduire l'homme à la négation qu'il dessine de lui-même ?
A: -Tu sais très bien que nous avons tous essayé de l'empêcher, que tous les hommes d'un peu de hauteur ont tenté de leur en faire prendre, que certains ont réussi !
B: -Y avait-il autre chose à créer que le confort ?
Attends, attends, cette autre question :
Qu'est-ce qui était le plus inévitable, que les hommes d'esprit se dressent, ou que les hommes d'esprit aient à se dresser ?


[Pamela avait probablement assisté à une révolution dernièrement ; du moins elle s'en assurait ; difficilement doutait-elle de ses doutes.]


B: -Pourquoi déjà et toujours devant l'homme faut-il que surgissent les souffrances et le soupçon de souffrance en forme de mondes à part, d'autres mondes ? Pourquoi toujours à l'homme apparaissent-ils certes pleinement présents jusqu'à définir toute la présence au monde, mais parallèles et furtifs et réfléchis par le trouble, et rebondissants sur les parois du trouble, comme des mondes croisant notre surface du multivers, indépendants des choses promises ? Sont-ils le germe la fin la racine et la raison de l'autre-chose ?
A: -N'est-ce pas parce qu'elle surgit et soudain-agit-toujours que la souffrance invite à penser son absence ? De la part de l'homme, n'est-ce pas une autre de ces prisons, guère moins forte que celles qu'il s'est vu se choisir, guère moins solide ou faible au fil des siècles des siècles ?
B: -Ou bien c'est, depuis et pour toujours, la solution, ou du moins, l'explication, et le seul éternel qui donne le nom d'homme.


[Il ne s'agit pas de mentir, mais d'infléchir la vérité, dans une direction qui nécessite un certain et précis savoir pour savoir qu'on l'a prise.
À son tour, l'ennui de tout retour en arrière – pour s'y loger, ou s'y comparer, ou s'y saisir – c'est cette tendance à accorder plus de réalité aux faits passés qu'aux volontés, aux volontés qu'aux mouvements, aux mouvements qu'aux idées, aux idées qu'aux impressions, aux impressions qu'aux sens ; et, de nouveau dans le présent, à retranscrire les faits passés en volontés, mouvements, idées, impressions, sens. (Certains poètes ont suivi des yeux ce fil de réalité, mais en ont déduit à tort qu'il fallait l'inverser.)]


A: -Je crois que l'homme est fait, je crois que l'on fait l'homme
Comme on fait la musique.
Je vois que l'homme est tout en nous, n'y échappent ni ce besoin de se (le) définir, ni cette incapacité à se (le) préciser durablement et crédiblement – aujourd'hui même peut-être plus que jamais l'homme est plus que tout en lui, il est tout en tout,
– rien ne s'y dérobe, il est la mesure et la trace de toutes choses, il est le fond d'être et de pensée, il est la futile présence, il est le jamais fui, ni dans sa négation,
– aussi pour le circonscrire dans un cercle à la fois général et singulier
Il faut jouer des notes, échos ou résonances, ou des vibrations possibles immédiates
Et s'accorder à dire ce qu'on en entend.
B: -Au-delà de toutes les mécaniques et musiques qu'on a pu lui dédicacer, l'homme n'a qu'un appel : celui du bonheur, et qu'un cri : celui de sa négation. Sur ces deux voix l'entièreté des maximes – formules de lettres, ou de chiffres ; de couleurs, ou de sens – se calquent, se fondent, s'unissent ; inconsciemment sans doute tout d'abord mais surtout par acquiescement.
A: -Vous autres hommes me dégoûterez, à tant vouloir vous mentir.
B: -Jusqu'à ce que tu aies la – une ? – solution, tu restes un homme.
A: -Il n'y a pas... d'exorcisme. Où voulez-vous en vieillir ?
B: -Il y a toujours Dieu, à la rigueur.
A: -À la rigueur. Et après ?
B: -Il y a la science, sinon.
A: -À mon âge déjà on lui ôtait son sens, pour lui laisser le pouvoir.
B: -Il y a toujours la nature.
A: -Tu m'aurais dit l'ennui, passe, mais... Je ne sais pas, on l'encensa, on l'a perclue, et moi je ne suis jamais parvenu à y croire sincèrement, à cette nature toute-puissante et assez petite pour être plus faible que l'homme.
B: -Mais plus forte que les hommes.
A: -Ou le contraire.
B: -Ne joue pas avec les mots.
A: -Je n'ai jamais su qui était le plus fort. L'homme ou les hommes.


[Pamela se rasseyait parmi les novationnaires, ou leur chant : était-ce elle qui créait les visages dans la masse ?, elle en faisait encore un monde ?]


A: -Il n'y a que deux attitudes.
Celle qui ne voit le choix qu'entre le suicide et la trahison
et celle qui ne le voit qu'entre l'abandon dans l'espoir, la culture de l'espoir, et la sélection hiérarchisée rationnelle d'un espoir.
Il n'y a que ces deux attitudes chez l'homme.
Les hommes qui ne les comprennent pas ne méritent pas d'être en l'homme.
B: -Et cependant, tu leur accordes tant d'excuses... Comment fais-tu pour atténuer autant les maux que produit l'homme, tout en les jugeant aussi généralement fautifs ?
A: -Oh, un paradoxe comme un autre... Les reclus des hauteurs ont souvent vécu de n'avoir pas appliqué aux figures singulières des jugements trop justes découlant des figures devenues générales... et puis,
Ils ont dû aimer, eux aussi...


[Quand on aime on évite, on peut éviter d'espérer]


A: -Ils disaient :
Je ne vois pas très bien pourquoi tu tiens à ce que la révolution te possède et t'emploie.
Je répondais que cela était préférable au contraire, à l'emploi par le contraire, et ils disaient :
B: -« Qu'est-ce que ça change ? »
A: -Je disais tout, que c'était le seul choix de vivre, et ils rétorquaient :
B: -« C'est faux, ce n'est qu'un autre choix d'horizon. Le seul autre choix d'horizon, peut-être, probablement le seul autre choix de choix de vivre ; mais les vivre se ressemblent. »
A: -Je disais que non, ce n'était pas possible, qu'il devait y avoir un être à devenir, une irressemblance à trouver, que les horizons étaient comme les soleils et qu'on devait pouvoir en profiter.
B: -Et ils te disaient que tu comprenais déjà par leurs paroles que tu savais déjà qu'ils avaient raison et qu'il s'agissait simplement pour toi de croire en l'histoire, encore, et de tracer vers l'horizon ton chemin singulier mais acquiesçant.
A: -Et je m'arrêtais là.
B: -Et tu t'arrêtais là parce que tu pressentais que tout n'avait pas été dit, et qu'il restait quelques objections, mais que les formuler les dissiperait, alors, juste avant, tu les ressipais et tu formalisais les volutes, avec d'autres, dans ce que pour l'instant on pouvait en atteindre – croyant vraiment en ce « pour l'instant », se sentant soi en cet instant, et prouvant par là que tu y voyais...
A: -...un instant précédant d'autres instants à la suite.


Et nous affichions :
Rétorquez tout votre soûl, ils vendront mieux vos prières,
Et nous leur criions :
Étranglez étranglez étrangez vos mots dans leurs gorges,
Sortez-les-en, mâchez-les-en,
révérenciez-les-en
vous ne pouvez pas leur laisser les mots les plus forts

IL FAUT BOULEVERSER TOUS LES RAPPORTS DANS LESQUELS LES HOMMES


LA SILENCIEUSE : -Je suis La Silencieuse.
Je suis le silence qu'on n'entend qu'à reculons.
Je suis le silence éternel de ces consciences innombrables.
Je suis l'agonie du pardon que l'homme s'est pu laisser aller à se laisser à lui-même.
Je suis le cri des clous du christ qu'on avait persuadés d'empoigner la lisière.
Je suis derrière le temps perdu, et l'envie de le retrouver.
Je suis le plongeon dans la suite des plongeons qui t'ont fini.
Je suis la flèche et l'archée que tu as cru vendre et qui se fichent encore dans ton dos.
Je suis le fond de peur du réel qui occulte l'absolu de l'ironie que tu voudrais.
Je suis la boucle et le ressort de toute prophétie que tu formules un peu tard.
Je suis le fil où les perles irrégulières et les roides pierres s'enroulent et s'écoulent, laissées toutes échapper.
Je suis les prochains tournants des chemins.
Je suis l'assurance des autres horizons, les autres horizons assurés horizons.
Je suis le dessin des embrasures d'après.
Je suis ce que du souffle on sent la cessation bruire au rythme éternel d'écoeurants arrimages, blancs retours noirs de monde et de grisailles neuves.
Je sens la vie se plier, j'essaye la vie qui va ployer, je suis la vie qu'on voit dépliée.
Je suis la dernière des chaînes, le maillon salvateur et le ruban étrangleur.
Je suis le sens de la marche.
Je suis La Soif de liberté.
Je suis celle seule à la fois être et avoir, qui peut réveiller l'être en bannissant l'avoir, éveiller l'avoir en marchandant l'être, définir l'un par l'autre, j'ai comme manteau d'apparat l'engendrement de chacun par la clef de l'autre.


[Pamela murmurait Et cum vorandi vicerit libidinem/ Late triumphet imperator spiritus, et cum vorandi vicerit libidinem late triumphet imperator spiritus, etcumvorandiviceritlibidinemlatetriumphetimperatorspiritus et et et etcumvo r a n d i i i mais peine perdue car l'espoir chantait toujours avec elle]


LA SILENCIEUSE : -Et in arcadia ego. Et arcadia sum.
Regardez moi moi qui me convulse à vos pieds à vos dents à vos tranches de vie
Regardez les laids qui se révulsent au spectacle de mon corps moi nue lame luisante de non nuit
Comme une lueur au bout d'une chute
Regards délabrés de fruits de nos entrailles rapidement trop eux mêmes pour être de nous
Que moi même nue lame je ne voudrais pas
Qu'on voie comme étant de mes viscères moi vie.

Je suis morte de trop signifier.
Et in arcadia ego.


samedi 2 août 2008

ceci qui est le plus informe (textes pour blog)




La littérature ne parle pas assez de la flemme. Elle parle de la paresse, du dilettantisme ou du vide artistique, mais je ne me souviens d’aucun texte traitant de cette impuissance à agir, malgré la volonté, malgré les capacités, un blocage handicapant nos aspirations les plus urgentes et opérant d’une origine qui nous échappe. J’ai dû combattre une terrible flemme pour écrire cet article. D’ailleurs en relisant mes anciens écrits je constate que mon absurde difficulté est devenu un thème constant, parfois d’ailleurs utilisé comme excuse au bâclé, à l’inachèvement ; sur ma tombe il aurait été écrit : « Jean Misslin, l’homme qui avait la flemme » si besoin il y avait d’une excuse pour mourir. Et pour vivre ? Tout aurait été plus simple avec une réelle paresse, instrumentalisée, stylée dans un élan dandy au risque d’échec minime. Actuellement j’écris pour ne pas filmer, je photographie pour ne pas écrire (heureusement que j’ai laissé tomber le dessin). Si j’en avais les moyens, je filmerais pour ne pas photographier, ça corserait le tout. « Fair naître les jetées / Construire un labyrinthe / De toi comme une sainte / En jouant Prométhée ».

Ce qu’on ne sait pas, c’est que Prométhée était amoureux de son aigle tortionnaire, la flèche dévorante, amoureux le torse dressé vers la combustion, l’attrait spectrale de la pourriture bataillenne, de ce rayon du soleil... Et autour de moi et de mes épouvantables conflits, le monde semble tourner : une femme s’est fait incruster un anus artificiel par erreur de l’hôpital, un homme va en prison pour avoir demandé à des passantes de lui cogner les burnes.

Il se passe souvent énormément de choses en mai. C’est comme si le monde, cet écolier, se pressait avant les vacances, qu’il avait attendu les derniers jours pour se déchaîner avant le sommeil d’été. D’abord il y a eu Explosions in the Sky, concert non-mémorable, et puis le prototype Angels in America, et les superbes ballets d’Agamatsu où il me fallait me pincer pour ne pas m’endormir, Kronos Quartet et Orestie, que je n’ai pas vu, Cannes et Desplechin, les 50 ans de ma mère, les sites SM de mon père, Sophie Calle, camion, l’assistanat à la réalisation sur un court métrage. Je semble avoir repris les vieilles habitudes d’oisiveté, lorsque me retrouvant sans identité précise puisque sans travail ni études je devais prendre celle de la Kultur, un être-film, un être-expo, un être-théâtre. Et quoi d’autre encore, Animal Collective. Il doit bien s’agir du groupe le plus attrayant de notre époque. Une sorte de fil tendu vers une direction dont on ignore l’extrémité, sur lequel a poussé des ornements, transgenres nés de l’union de la pop et de l’expérimentale, de la nature et de la technologie, du désordre et de la pureté ; des supports pour ne pas tomber du fil se faufilant entre nos organes maintenant leur éveil, comment dire, du néo-psychédélisme peut être. Tout au long de leurs compositions c’est cette impression de naissance constante, des notes les yeux écarquillés sur des paysages mouvant, et la tentation d’y tomber. On se tient en équilibre en se délectant de la possible folie d’une chute (le rêve des anges, le rêve du corps). Le Paradis selon Animal Collective a quelque chose d’infernal, ça m’a rappelé Jérôme Bosh, du bonheur dans la métamorphose, contre-nature, comme une profanation. Le sacré se trouve dans le difforme, dans ce qui n’est pas définis ainsi que la frénésie d’une danse la pulsation viscérale que peut causer un accord de notes. Le public avait l’air d’une communauté adorant leurs gourous, la tripante harmonie de leurs sécrétions musicales, de leur sève en offrande et les jeux de lumière et de signes, une messe païenne –la comparaison peut paraître ridicule mais elle est frappante sur scène, je pense notamment aux cris des plus fervents admirateurs, inutiles au premier abord, qui ne sont rien d’autre que des rituels d’appartenance à une croyance religieuse. Des cris bêtes, de bêtes, comme une réponse. La vision musicale d’Animal Collective est toute dans cette bêtise, dans cette extraction vers la roue libre vers l’univers où Dante ignorant se laisse guider ; sa vision, sa prouesse, toute dans la capacité à trouver l’illumination par le biais même de la régression hébétée de ses mélodies.
Ils n’ont pas chanté Unsolved Mysteries, ni Chores (Corps ?), dommage. Dans la salle nous devions être 5 à fumer, un d’entre nous s’est fait prendre ; les autres, tous des collabos.





C’est une question que je me pose depuis un certain temps : peut-on pardonner à un non-fumeur ?

Dans certains cas c’est envisageable. Mais, comment aborder l’abjection de cette répression anti-tabac qui finit par s’en prendre jusqu’à la représentation des clopes dans des œuvres ? A la télévision française on compte l’interdire (suivant comme d’habitude le modèle américain), à moins que ce ne soit déjà fait. Dans les exemples que j’ai en tête, il y a aussi l’affiche de Control, où la cigarette avait finit par être gommée de Ian Curtis’s bec. Mais surtout, surtout parce que bien plus symbolique, j’ai pu assister hier à un blasphème particulièrement traumatisant : dans le film Sex and the City, plus une cigarette entre les doigts de Carry B. Elle était la plus grande fumeuse de la télévision, nous l’aimions avant tout pour ça, et maintenant, quoi ? Il n’y a guère plus que Samantha pour oser porter un cigare à la main, sauf que, attention, pas une fois on ne la verra le porter à la bouche. Samantha est une femme qui baise les hommes, mais pas le système, pas Hollywood (contrairement à Sharon Stone dans Basic Instinct), n’exagérons pas. D’ailleurs le film est une véritable merde. Une « ode aux personnages» ainsi que le disent les inrocks, au points de ne ressembler qu’aux défauts de ses héroïnes : pudibond et débile comme Charlotte, moche et guimauve comme Carrie, ennuyeux et larmoyant comme Miranda, gros et aseptisé comme Samantha. Une série qui aurait fait un lifting, et qui aurait mal tourné dans un visqueux claquage de chair. Je ne me suis jamais senti aussi sale en sortant d’un cinéma.
Je dois cependant le remercier de m’avoir fait comprendre à quel point la série était nulle, nulle puritaine et normative à peine rattrapée par le visage passionnant de Miranda et les quelques bonnes répliques de Samantha. Sex and the City s’est depuis son commencement vendu comme étant la série provoc par excellence, brisant les tabous sexuels et délivrant enrobée de chaussures Chanel sa charge politiquement incorrect. Une simple vision montre qu’il n’en est rien. Le principe de la série consiste en une suite de mésaventures que subissent les quatre célibataires new-yorkaises et qui sont sensées broder un panorama de toutes les équations sexuelles et sentimentales possibles. Pour le déclenchement narratif de chaque épisode, l’accroche, il faut donc que les éléments extérieurs surgissant dans leur vie soient étrangers à une norme représentée par Carrie (la gentille fille fashion en recherche d’amour). Une confrontation à d’autres sexualités, à d’autres choix sentimentaux, confrontation en fait proposée qu’en vue de la glorification des choix de Carrie –l’amour, hétérosexuel, position du missionnaire, fidèle, avec mecs riches et plus âgés, et, dans le film, mariage, engagement, émerveillement de l’ornement nuptial. Le reste n’est que perversion et misère. Le fétichiste du pied est un grotesque pétomane. Le sado-maso est à fuir au plus vite. L’amateur de sexe public ne peut forcément baiser que dehors, prisonnier de sa débauche. Les bisexuels n’existent pas ou alors, si on en trouve, ce sont comme « des personnages d’Alice au pays des merveilles », un « effet générationnel » autarcique et désordreux sorti d’on ne sait où. Les homosexuels sont de grosses tarlouzes incapables de baiser avec des filles et les amateurs d’anulingus, limités à leur pratique de l’anulingus. Dans le film, le mec portant des chaussures de fille ne peut être rien d’autre qu’un élément comique. Chaque cas est défini, entravé, limité à lui-même ; les mélanges inattendus et incertains (de sexe, de sexualité, ou d’âge) sont des impostures et les déplacements de pulsions sont tournés au ridicule. Sex and the City est la série de la clarté sexuelle comme moyen de stigmatisation au profit des clichés du romantisme le plus mercantile : « Le diamant viendra après » dit Mr Big, se rattrapant à la fin du film de l’erreur du début, une proposition de mariage dans la cuisine (seule scène réussie) dont l’absence de miel entraîne le mauvais karma de la suite. Le géant placard à chaussures est largement préférable. S’ils pouvaient y rester.
Mes détracteurs me citeront les tirades anti-mariage de Miranda et de Samantha. Mais ce serait oublier que la première finit par se marier et que la seconde ne peut s’empêcher de verser sa larme devant l’horrible choucroute blanche de Carrie. Toute opposition aux roses clichés de l’amour de gare, dans Sex and the City, s’annule par la suite. Le but est de convaincre en douce le spectateur par une progression toute en clinquante séduction. Il DOIT s’identifier à Carrie, ce n’est pas un choix mais un ordre, et toute personne non-conforme est un pervers aigris.



Dans une moindre mesure, cette question des déterminations sexuelles selon Hollywood m’a fait penser à David Cronenberg, qui en réalisant Les Promesses de l‘Ombre a pris dans son cinéma et au cœur même de ses problématiques une direction radicalement différente. L’ensemble de l’œuvre de Cronenberg consiste en une vaste exploration du paysage corporel et de sa confrontation avec un environnement/domaine donné, constitué des éléments témoignant de la révolution organique esquissée par la fin du XXème siècle. En filmant l’étendue des nouvelles expériences transformatives qui nous est offerte, drogues sciences univers virtuel technologie chirurgie, il institue l’idée du dépassement même du corps, de l’organe fonctionnel, au profit d’un espace vierge attendant la défloraison ; un cinéma post-corporel donc, post sexuel par extension.
Les Promesses de l’Ombre est le dernier film de Cronenberg, et, on peut aisément le reconnaître, un polar dans la plus pure tradition hollywoodienne -encore plus qu’History of Violence. Ses acteurs sont des stars bankable, sa réalisation bien plus aseptisée que d’ordinaire, moins classieuse, moins sombre, parfois authentiquement vulgaire (la danse des putes), et, pour la première fois, provoquant un questionnement des sexualités selon leur définition, avec des termes moraux. Les meilleurs films de Cronenberg, Videodrom Faux Semblants Le Festin Nu Mr Butterfly Crash, sont des excursions sexuelles dont le moyen tout comme le but sont un flou, l’incertitude des objets de désir. Le plaisir dans la douleur, dans un univers virtuel où les télévisions se font fouetter / coucher avec Jeremy Irons, ou avec Jeremy Irons ? / avec un garçon, une fille, un mogwup ou autre insecte déguisé en humain ? / avec Mr Butterfly ou avec Mme Butterfly ? / avec un garçon, une fille, leurs cicatrices, une voiture, ou son accident ? Jamais ces films n’abordent le traitement psychologique ou psychanalytique, de sorte que sans distance ils font chair avec leur sujet (alors que le Crash de Ballard, souffrant des limites de la littérature, nous bombarde d’explications). On ne parle plus de film sur une pulsion, mais d’un film-pulsion, avec toute l’absence de considérations morales que cela implique. Je ne me lasse pas de revoir ces sommets, il me semble, illustrations des recherches lacaniennes quant à la chair qu’on ne voit jamais, le fond des choses, l’envers de la face, du visage, les sécrétats par excellence, la chair dont tout sort, au plus profond même du mystère, la chair en tant qu’elle est informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui provoque l’angoisse. Vision d’angoisse, dernière révélation du tu es ceci – Tu es ceci qui est le plus loin de moi, ceci qui est le plus informe.
Les Promesses de l’Ombre prend ce parti pris à revers. Il s’agit du seul film où la définition des sexualités a un rôle primordial, l’hétérosexualité puissante et glorieuse de Viggo Mortensen, l’homosexualité refoulée et veule de Vincent Cassel, la guerre que l’abordage de cette identification provoque. Si l’on considère l‘œuvre de Cronenberg, ces conflits entre mafieux causés par une rumeur quant à l’homosexualité de Cassel rentrent dans la logique de sa problématique, la chute venant de l’absence d’ambiguïté -ainsi que dans Mr Butterfly, lorsque John Lane se révèle n’être qu’un homme, et non la créature fantasmée par Irons. Mais, à la différence de ce film, Les Promesses de l’Ombre est de toute sa matière tournée vers Hollywood, et la chute n’est plus un lieu d’expérience mais une balance qui permettra de déterminer le bien du mal. Au final, on apprend que les putes sont des esclaves et que le véritable crime du grand méchant, entraînant sa condamnation, est d’avoir baisé une mineure, on apprend, que si Cassel finit en épave c’est parce qu’il succombe à ses penchants invertis et que si Mortensen embrasse Watts c’est parce qu’il est bon et fort et qu’elle est un peu gourde. On avait connu Cronenberg plus vigoureux. Dans un entretien qu’il accordait à Yann Tobin (Positif 425/426), il disait : « Un problème que pose le politiquement correct est l’obsession de la surface, de la symbolique apparente ». Les Promesses de l’Ombre est pourtant un film sur la recherche de la surface, de ses thèmes composants, et de sa cinématographie sous le prisme du nouvel Hollywood de par son ambition de filmer ces ombreuses promesses, celles d’être mises en lumières.
Reste la virtuose et chirurgicale perfection de la scène du hammam, combat de spartiates, implacable, «cronenbergien » reconnaîtrait-on enfin, dont le jeu consiste à découvrir l’éprouvante dégradation du sur-corps, sa vulnérabilité après la sacralisation, l’effroi maîtrisé de sa nudité face au tranchant des armes.

J’avais écrit cette suite pour blog fin mai, début juin, et je le diffuse maintenant. Entre temps on m’a volé mon sac où se trouvait un nombre essoufflant de notes, d’écrits divers. Cette disparition me rempli d’effroi, moi qui me suis toujours refusé à vivre avec la permanente crainte de la perte, ou pire, de la malfaisance d’autrui. Il n’y a rien de plus médiocre et mesquin que la paranoïa. J’avais laissé le sac à 30 cm de moi, ce n’est rien, 30 cm, on ne peut même pas appeler ça de l’inconscience. Ca me rappelle, j’avais connu quelqu’un qui se vantait d’avoir une queue de cette même taille, ou comment l’absence se transforme en présence. Mais j’ai du mal à voir à quoi peut servir une bite aussi gargantuesque. Un radar de la NASA ? Un tuyau d’arrosage ? Voilà qui plairait à cette merde de Jeff Koons. Et puis, autour de moi et de mes épouvantables conflits, les pompiers manifestent pour dire qu’ils ne sont pas fumeurs, et puis, au loin, les phoques manifestent pour dire qu’ils ne sont pas pd. Tant pitre pour eux, dirait Nadja. On aimerait écrire des Textes-Cathédrales et on se retrouve dans les toilettes du Reflet à rédiger ce qui deviendra au mieux la partie d’un Carnet de Jeunesse au pire un ectoplasme de blog, en
comptant ses sous pour la prochaine bouteille
se frottant les yeux comme s’ils étaient la lampe d’un génie endormi
se demandant si sous la cuvette se cache bien l’enchantement d’un grand bleu céleste


Sortir, la chaleur est revenue et le désir traînant des pieds facile à rattraper.


(de nouvelles illustrations plus tard)