Complexe, intellectuellement stimulant, visuellement splendide, le film de Peter Greenaway s’intéresse à La ronde de nuit de Rembrandt, tableau représentant la milice d'Amsterdam. Fascinants personnages, sortant de l'ombre, sortant du temps, dans une tranquille pagaille... Ils ont leur vie propre, s'interpellent, se racontent des histoires...
Nous sommes en 1642, période d'apogée pour Rembrandt, période d'apogée pour la Hollande.L'illusion de la profondeur est donnée par des détails comme la hallebarde du lieutenant et par la succession des plans. Mais c'est l'atmosphère à la fois sombre et lumineuse dans laquelle baigne la scène qui donne au tableau son unité et sa véritable dimension. transfiguré par la magie du clair-obscur.
Tandis qu'il prépare son travail, le peintre découvre un complot criminel et décide au risque de tout perdre de le dénoncer dans sa toile. C’est une enquête romanesque de l'image que Greenaway déroule pour éclairer le mystère de cette toile énigmatique : Qui est la fillette dorée du second plan, perdue au milieu des soldats ? Que fait le tireur central ? Pourquoi son casque est-il orné d'une feuille de chêne ? Au bout d'un cheminement baroque et théâtral, la toile est dévoilée et les pièces du puzzles rassemblées. La pénombre picturale regorge de sombres histoires d'argent, de cul et de vengeance.
Eclairage à la bougie, clairs-obscurs, compositions frontales et costumes d'époque. De belles réussites de lumière et de couleurs: de la peinture, du sexe et du sang! C’est aussi le portrait d’un artiste jouisseur, hanté par une possible cécité, tendre et complice dans ses relations avec sa femme, avec les femmes.
La ronde de nuit compile à peu près toutes les figures de style habituelles de Greenaway : l’art comme révélateur d’un complot (Meurtre dans un jardin anglais en 1982), les obsessions sexuelles qui rongent les personnages (Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant en 1989) ou encore la théâtralité du décor (par la présence centrale d’un lit où les corps s’enchevêtrent) (The baby of Macon en 1993).
Greenaway fait un film à la fois intellectuel, dans sa composante énigmatique et en même temps totalement charnel. Mêlant inextricablement l’Art et l'urine, la spéculation et l’écoulement des fluides corporels, il réfléchit ainsi à la place de l’artiste dans la société, qui à travers l'image, la matière, la couleur s'occupe de concept, de politique et de philosophie. Sublimant le réel, l’Art agit comme une révélation, plus païenne que divine.
Greenaway invite le spectateur à un jeu de piste mental construit dans un échafaudage formel et plastique brillant.